Irida, danseuse orientale

 

 

 

 


L’influence de la culture de la danse
sur le développement du schéma corporel

Par Irina Soloviéva, psychologue

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Autrefois dans la philosophie et après dans la psychologie un homme était perçu comme une créature non charnelle. Et même si on parlait du corps, on le faisait avec dédain : la «bassesse» du corps était opposée à la «hauteur» de l’âme. Finalement, la justesse a été rétablie et le monde scientifique a commencé à parler de liens très rapprochés entre le corps et l’âme : ce sont deux composants égaux, qui influencent et se transforment mutuellement.

La danse, en tant que phénomène de la vie humaine, se pose sur la frontière des sphères spirituelle et corporelle : à travers la danse on exprime ses émotions, ses pensées… Depuis la nuit des temps la danse porte en elle un sens, parfois assez complexe. En Inde, par exemple, la danse est un récit où le moindre mouvement, comme tourner la tête ou bouger les doits, a son propre sens.

Depuis quelques temps la danse sert de moyen de psychodiagnostique et de psychothérapie : elle peut aider au patient d’exprimer par l’aide de son corps tout ce qu’il ne peut pas dire oralement pour une raison ou pour une autre. La danse aide à établir un meilleur contrôle sur son corps, à le comprendre ce qu’implique aussi la compréhension de son monde intérieur et de son vrai «soi».

 
 


La danse n’est pas seulement un moyen d’expression de la personnalité, mais aussi un moyen de la former. Cette étude est consacrée au problème de l’influence de la culture de la danse sur la formation d’une personnalité, plus précisément, de son schéma corporel.


la figure d’une danseuse orientale
et d’une danseuse classique

Nous avons comparé l’influence de deux traditions de danse très différentes : la danse classique et la danse orientale, dite souvent « danse du ventre ». Ce sont deux phénomènes contraires, l’un est né dans le cadre de la culture européenne traditionnelle, l’autre dans la culture orientale traditionnelle. Elles se distinguent non seulement par leurs bases de mouvements, mais aussi par leur approche à la chair comme telle.

Le ballet classique est un enfant de la culture européenne et dans son approche à la chair il est imprégné de la philosophie et de la religion du Moyen Age avec leur négation du corps et avec leur désir de se hisser au-dessus de la chair mortelle. Ces tendances sont reflétées dans la tradition de la danse : la danseuse classique est pratiquement tout le temps sur les pointes ou les demi-pointes, en réduisant ainsi le contact avec le sol, etc.

De plus, le corps lui-même est perçu comme un objet, mais non pas comme un sujet : ses besoins et ses particularités ne sont pas respectés, beaucoup de mouvements sont exercés comme à contre corps, malgré la douleur physique. Chez les danseuses classiques les pieds sont souvent usés au point de causer de la douleur, le traumatisme n’est pas rare… Dans ce milieu on dit souvent : «si après tes exercices tu n’as rien qui te fait mal, tu n’as pas bien travaillé !». Le corps sert d’instrument, et il se venge : les danseurs quittent la scène tôt, chez beaucoup d’entre eux le comportement nutritif est désorganisé, des maladies qui sont causées par des efforts excessifs constants, par des traumatismes et par des régimes, surviennent.

La danse orientale est imprégnée par la culture de l’Orient. C’est une approche toute différente et subjective à la chair : le corps est respecté et accepté. On n’essaie pas de l’estimer en fonction des standards de l’apparence ou de l’âge. Chaque femme peut danser et danser bien et peut être désirée en dehors de son âge ou de son physique. La danseuse accepte plus son corps et elle-même.

Les mouvements de la danse orientale, ce sont souvent des mouvements sexuels naturels, ce qui explique son grand pouvoir d’exciter les désirs, qui ne dépend pas de l’apparence de la danseuse, parce que ça fait appel à la partie profonde de la psychique d’un homme. Cet aspect aide une femme à retrouver le contact avec sa sexualité.

Nous avons alors supposé que chez les femmes qui sont nourries de deux cultures de la danse si différentes (deux cultures de la chair aussi), les images inconscientes corporelles (appelées autrement les schémas corporels) étaient également différentes. L’hypothèse de cette étude est énoncée comme l’influence de la culture de danse sur la formation du schéma corporel.

Trente femmes ont participé à notre enquête : dix parmi elles font de la danse classique, dix font de la danse orientale et encore dix ont constitué le groupe de contrôle. Nous avouons le défaut de la petite échelle de cette enquête, mais nous n’avons pas présumé cette étude comme étant décisive, elle a été la première à commencer une série.

Il faut également préciser que les femmes qui ont participé dans cette enquête s’identifient à la culture russe, on ne parle donc pas de l’influence de la culture des pays différents sur le schéma corporel, mais de l’influence de la culture de la danse.

En ce qui concerne l’âge des participantes, les danseuses classiques appartenaient au groupe de 17-20 ans, les femmes qui pratiquent la danse orientale étaient plus âgées (32-48 ans). Le group de contrôle a dû niveler la différence de l’âge dans les deux premiers groupes pour que notre enquête reflète quand même l’influence de la culture de la danse et non pas la spécificité de catégories de l’âge. Ce groupe de contrôle a été composé des femmes des différentes catégories d’âge.

Nous avons pris une méthode développée par Moshe Feldencrais comme base de notre étude. Cette méthode sert à démontrer l’image corporelle inconsciente et consiste en éléments suivants : une personne avec les yeux fermés montre les dimensions de son corps, ces données sont mesurées, puis recopiés sur un papier à échelle 10 : 1, un schéma de figure humaine qui correspond à l’image corporelle inconsciente est ainsi créé. Ces données subissent l’analyse qualitative. Les mesures réelles de cette personne sont également prises et comparées à celles qui sont ressenties subjectivement, l’analyse quantitative est alors effectuée.

L’étude a démontré la tendance la plus importante de désaccord entre les schémas masculins, féminins et androgynes (possédant des caractéristiques des deux sexes en même temps) dans chaque groupe. Dans le groupe des danseuses classiques il y a eu trois schémas féminins, quatre schémas masculins et trois androgynes. Dans le group de la danse orientale il y a eu huit schémas féminins, zéro masculin et deux androgynes. Dans le group de contrôle il y a eu six schémas féminins, zéros masculins et quatre androgynes.

Comme on peut le voir, les femmes qui ont le contact le plus proche avec leur sexualité, ayants une identité sexuelle la plus adéquate à leur sexe réel, font de la danse orientale. Comme nous l’avons mentionné auparavant, la danse orientale est sexualisée, orientée vers l’établissement du contact avec sa sexualité, avec sa femme intérieure, sur l’expression de sa sexualité. A cette lumière les résultats obtenus sont logiques.

En ce qui concerne la danse classique, les résultats sont plutôt étonnants : chez la plupart des filles assez subtiles le schéma corporel a été relevé comme masculin, les images féminines et androgynes ont été égales. Ça peut être expliqué par l’idéal d’une femme qui a subi des transformations importantes depuis le début du siècle dernier. Si à l’aube du XXéme siècle les danseuses étaient plutôt « rondes », de nos jours elles sont soit asthéniques, soit athlétiques. Serait-ce que les danseuses choisissent inconsciemment l’idéal corporel « plat », diminuant ainsi leur féminité ?

Ou bien ça ne dépend pas des directives psychologiques, mais de la spécificité de la chair « classique » avec ses mouvements et son maintien : chez les danseuses classiques le bassin est très tendu depuis l’enfance, ce qui provoque un blocage pelvien provoquant à son tour des problèmes dans la sphère et l’identification sexuelles.

On peut encore supposer que cette « masculinisation » résulte du régime de la vie, assez dur depuis l’enfance. Il faut avoir beaucoup volonté et de courage pour endurer touts les efforts physiques et psychologiques. A ce moment, le développement de ces qualités est probablement sollicité.

Nous pouvons faire plusieurs suppositions qui ne s’excluent pas. En ce qui concerne le groupe de contrôle, il est situé au milieu d’un continu sur les bouts duquel les danseuses de différentes cultures de la danse sont placées. Il y a plus de schémas androgynes et moins de féminins par rapport au groupe « oriental », mais il n’y a quand même pas de schémas masculins.

Nous pouvons ainsi dire que la culture de la danse bénéficie de l’influence importante sur l’image corporelle de soi et sur la personnalité dans son intégrité.


Les résultats de l’analyse quantitative (les distorsions du schéma corporel de soi) peuvent être classés dans quatre groupes :

1. Les distorsions approximativement égales dans touts les groupes. La seule différence importante démontrée par notre étude résidait dans les dimensions de la cage thoracique (20 % en moyenne dans chaque group). Dans le langage symbolique la cage thoracique représente le dépôt d’émotions et de sentiments, mais aussi de l’énergie vitale. Les résultats se ressemblent dans touts les trois groupes, ici nous pouvons dire que la culture de la danse ne joue pas de rôle important dans cette problématique, des facteurs étrangers non mentionnés dans cette étude jouent un rôle.

2. Les distorsions propres aux danseuses en général. Elles ne sont pas liées à une culture de danse concrète, mais sont probablement spécifiques chez les danseuses professionnelles. C’est la distorsion de la longueur du pied (55 et 56 % chez les danseuses et 15 % chez le groupe de contrôle, ce qui constitue une différence assez importante), la distorsion de la longueur de jambe (8 et 10,5 % chez les danseuses et 0,4% chez le group de contrôle). On peut expliquer ça par l’importance particulière des jambes pour les danseuses (c’est l’instrument principal de leur activité, si on peut le dire) ou par le fait de vouloir posséder des jambes longues, naturel pour une danseuse ; tout aussi par la spécificité des mouvements de danse (même les danseuses orientales dansent parfois sur les demi-pointes) et par le désir d’être féminine, parce qu’un petit pied et une longue jambe sont attribués à la beauté féminine. Et c’est malgré le schéma corporel plutôt masculin ou androgyne chez les danseuses classiques, ce qui n’empêche pas ou même stimule le désir d’être vraiment féminine, etc...

L’image des bras subit moins de distorsions chez les danseuses que chez les femmes « simples », peut-être parce qu’on accorde une grande importance aux bras comme au moyen de l’expression dans les deux danses. Alors, les danseuses ressentent mieux cette partie du corps que le groupe de contrôle.

En ce qui concerne la largeur du cou qui est ressentie plus juste par les deux premiers groups que par le group de contrôle, on peut donner une explication suivante. La distorsion de la largeur du cou signifie souvent le blocage d’émotions, l’impossibilité de leur expression au niveau verbal, l’impossibilité de les réaliser. Et les danseuses ont une possibilité d’exprimer leurs émotions par leur corps, même celles qui ne sont pas réalisées.

3. Les distorsions propres aux danseuses classiques. Le schéma corporel est en général moins juste, en moyenne, les distorsions font 28 %, tandis que chez les danseuses orientales on a 19,8% et chez le groupe de contrôle on a 17,3%. C’est peut-être lié à cette approche au corps dans la culture de la danse classique, dont on a déjà parlé. Les distorsions suivantes ont été relevées : la largeur de la tête (37%, dans les autres groups en moyen 20%), largeur de la bouche (31%, chez les restes 14 et 15 %), la largeur des épaules et la longueur du cou (70%!). Si on y procède par l’ordre, la largeur de la tête signifie non pas les capacités intellectuelles mais une perception de sa sphère mentale et de son importance. Nous le soulignons, il ne s’agit pas de capacités intellectuelles ! La distorsion de la largeur de la bouche reflète une quantité importante de « non exprimé », « bloqué », laissé à l’intérieur, de l’agression verbale et d’impulsions orales. Il faut peut-être chercher un indice dans l’impossibilité d’exprimer l’agression stockée dans le corps ou dans la nécessité de réduire son alimentation…

La largeur des épaules. Nous avons déjà parlé de la nécessité d’actualiser ses qualités masculines chez les danseuses classiques, ce qui peut nous aider à comprendre cette distorsion. La longueur du cou subie une distorsion très forte. Selon la symbolique corporelle, cette distorsion peut venir de blocage des émotions et de l’impossibilité de les réaliser. Le cou long augmente la distance entre les émotions, les sentiments, les peurs, les désirs stockés dans le torse et entre la tête. Ces résultats sont cohérents avec les métaphores corporelles dans le ballet classique : la danseuse doit avoir un maintien tendu et bloqué.

4. Distorsions propres aux danseuses orientales. La taille est perçue moins juste - 41,5%, (dans les autres groupes deux fois moins) et le bassin, la hauteur de la tête, du cou, de la cage thoracique, et la largeur de la cuisse soins les plus justes parmi les trois groupes. Comme on peut le voir, ce n’est que la taille qui subit une distorsion importante – les danseuses orientales ont tendance à la diminuer. Il est probable qu’elles soulignent ainsi leur féminité, ce group a montré le plus de schémas féminins. C’est aussi la spécificité de la danse qui fait qu’on utilise beaucoup toutes les parties du corps qui sont liées à la sexualité, la taille y comprise. La perception inconsciente de son corps a été la plus juste parmi les trois groups, ce qui nous permet de tirer comme conclusion que la danse orientale aide les femmes à retrouver le contact avec leur corps, avec leur sexualité, avec leur féminité ; elle améliore la compréhension de son corps, diminue la quantité des distorsions du schéma corporel inconscient, de la conception de soi intégrale.

Nous pouvons alors dire que la culture de la danse a de l’influence sur l’image corporelle de soi et sur ses distorsions, aussi bien quantitative que qualitative, ce qui nous prouve encore une fois un lien très rapproché entre la sphère psychique et la sphère charnelle.

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